Le 91 : le secret le mieux gardé du rap français ?

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De Disiz, Diam’s, Sinik et Ol Kainry à PNL ou Niska, l’Essonne a toujours eu une place un peu étrange dans le rap français, entre respect des artistes voisins et absence de reconnaissance du public. A l’heure où la nouvelle génération prend ses marques, retour sur le cas d’un département pas comme les autres.

En Ile-de-France, pratiquement chaque département a eu son groupe historique, en général considéré comme des pionniers à différentes échelles : Expression Direkt pour les Yvelines, Les Sages Poètes de la rue dans les Hauts-de-Seine, et bien sûr NTM pour la Seine-Saint-Denis, EJM puis la Mafia K’1fry dans le Val de Marne, Le Ministère A.M.E.R pour le Val d’Oise, etc. L’Essonne est souvent, à tort, considéré comme en retard ou pire, carrément absent des premiers pas du rap français. Pourtant, ce n’est pas parce que les groupes historiques n’ont pas connu une exposition comparable aux autres qu’ils n’existaient pas. Durant cette première période, on peut quand même noter l’émergence, discrète certes, des Grignois de Code 147Respectés et reconnus, ils comptent d’ailleurs quelques combinaisons avec des têtes d’affiche voisines, mais cela ne suffira pas à leur faire dépasser une notoriété locale.

Le 91 comptait bien des pionniers, au même titre que les autres. Et avec des succès grand public comme Diam’s ou Sinik en leur temps, le département a également connu un rayonnement national assez incroyable. Pourtant, encore aujourd’hui, la plupart des non-initiés n’identifient pas forcément ces artistes comme des représentants de l’Essonne.

La technique

Il faut dire que l’on parle d’un département assez grand et varié en termes d’écoles de rap. On peut malgré tout mettre en avant une caractéristique qui semble être commune à un grand nombre d’artiste issu du secteur : la technique. Que ce soit des artistes comme NubiSmoker, presque l’intégralité des rappeurs des Ulis et une bonne partie d’Evry, l’auditeur a droit à un véritable festival de rimes multi-syllabique forcenées. Ce qui est intéressant, c’est que pour le coup, ils ont pris le pli en tant qu’auditeurs ; la plupart n’ont pas forcément été amenés à rapper avec Time Bomb, Les Sages Poètes de la rue ou d’autres, mais on sent qu’ils les ont écoutés en long, en large et en travers.

Au niveau de la répartition des scènes les plus actives, énumérer absolument tout le monde serait un peu trop fastidieux mais depuis de nombreuses années on peut distinguer au moins quatre villes, chacune ayant son style propre.

 

Evry

Probablement la scène qui a un peu donné le la au reste, puisque ce sont eux qui ont réussi à s’exporter en premier, avec notamment des artistes comme Disiz La Peste ou Ol Kainry, qui ont placé la ville sur la carte aux yeux du grand public. En terme d’influences, la majorité des rappeurs sont plutôt classiques et restent sur des bases avant tout New Yorkaises. Ce qui n’empêche pas une évolution, personne ne reste bloqué à vie sur un seul style. Ainsi le Al Kpote d’Unité 2 Feu, qui rappait aux côtés de son compère Katana, n’a plus grand-chose à voir avec celui que l’on connaît aujourd’hui.

 

Pareil pour Zekwe Ramos, et pas mal d’autres. Même un jeune rappeur comme Niska a d’abord fait ses débuts dans un style on ne peut plus classique, ce n’est que plus tard qu’il s’est réorienté vers de la Trap plus actuelle.

 

 

Le seul “problème”, qui n’en est d’ailleurs pas vraiment un, c’est que lorsque les premiers gros succès de rappeurs issus de la ville ont eu lieu, le style et les rappeurs en question n’étaient spécialement très identifiés comme étant issus de la ville. Ainsi Disiz a fait tout un story telling sur la genèse d’une embrouille entre différents quartiers de la ville mais le grand public a plutôt retenu ses singles et ses clips humoristiques. Le rappeur a ensuite monté son collectif Fuck Dat (qui réunissait entre autres EloquenceTreyz l’AffreuxDayen et Flag) mais cela n’a pas vraiment perduré. Du côté d’Ol Kainry, que ce soit son premier album ou ses singles, on avait surtout l’image d’un rappeur doué mais même les auditeurs qui l’ont adopté à cette époque n’étaient pas forcément au courant de son passé aux côtés du groupe Agression Verbale.

 

Grigny

Tout comme leurs collègues d’Evry, les rappeurs de Grigny sont très, très nombreux. Cependant ils marquent leur différence en terme de style très rapidement. En effet, la plupart des Grignois s’approprient une identité sonore qui est avant tout influencé par le rap de l’Ouest et du Sud des Etats-Unis. Cela peut sembler très banal à l’heure actuelle, mais les rappeurs de Grigny ont été parmi les premiers à adopter à ce point les codes du Down South par exemple (ne leur parlez pas de Dirty South, même par désir de vulgarisation). Leur amour pour la West va également bien au-delà de Los Angeles : les influences des rappeurs de la Bay Area s’entendent également, etc. Le collectif DGC (De Grigny Centre) a fait les belles heures des amateurs de ce type de son, avec des artistes aussi nombreux que productifs, qu’ils fassent directement partie du crew ou qu’ils soient simplement affiliés : MyssaLMC Click, Taro OGCokeinLa ComeraKetokrim

Est-ce parce que la ville a été l’ancien site d’une grande nécropole pré-mérovingienne ou pour d’autres obscures raisons, toujours est-il que Grigny semble souffrir d’une curieuse malédiction, encore plus prononcée que dans le reste du département : il y a beaucoup de rappeurs, certains ont beaucoup de talent, mais très peu voire aucun n’est parvenu à percer au sens commercial du terme et toucher définitivement le grand public. Juicy P, membre du groupe LMC Click, l’admet sans problème : « A un moment on a beaucoup parlé de nous mais on n’est pas allés au bout des choses, la vie nous a rattrapé : moi, LMC, la Comera, tout le monde. Maintenant, la configuration est bonne, pas de raison que ça ne se passe pas bien pour la suite. Ensuite, c’est comme tout le monde, tu as beau avoir du talent, sans exposition, ça ne sert à rien. »

 

Corbeil

Comme d’autres villes, Corbeil abrite beaucoup de rappeurs depuis de nombreuses années, comme Bizonpar exemple. Cependant l’exposition n’était pas là et la plupart des auditeurs ont surtout entendu parler des artistes de la ville via des featurings. La donne a évidemment changé depuis l’année dernière avec l’explosion d’un certain duo de frangins nommé PNL. Contrairement à d’autres, ils ont souvent mis en avant leur quartier et avec eux les autres artistes présents, qu’ils soient plus vieux ou plus jeunes qu’eux. La plupart ont, au niveau de la forme en tout cas, le même style d’approche : du rap de rue sous autotune, souvent assez planant.

 

Les Ulis

C’est la ville dont sont issus les deux plus gros vendeurs du département : Diam’s et Sinik. Même souci que pour Evry à une autre époque, le succès des deux artistes ne s’est pas forcément accompagné d’une mise en avant de la ville. Diam’s a été affiliée à d’autres crews pendant longtemps (Le Ménage à 3 pour ne citer qu’eux) et Sinik après avoir monté son label a plutôt signé d’autres artistes que ses anciens potes de freestyle. Cependant, l’esprit Los Monzas revendiqué par ce qu’il reste du groupe Ul’Team Atoma fait son petit bonhomme de chemin. Si le groupe n’existe plus forcément en tant que tel aujourd’hui,  ils ont tous fait leurs premières armes ensemble et ça s’entend. De Reeno à Grödash en passant par Fik’s et P.Kaer, on sent bien que les loustics ont brûlé bon nombre de faces B et accouché de plusieurs mixtapes ensemble. Même chose pour les proches, comme PopoScar Logan ou encore Twinky.

Vous pouvez d’ailleurs retrouver pratiquement tout ce petit monde sur les vidéos de battle Dégaîne ton style, pour les plus nostalgiques. Les autres peuvent se pencher sur la carrière solo de Grodash, de loin le plus actif à l’heure actuelle.

 

 

Et parce qu’il serait dommage de se quitter sans un autre possecut made in 91, on vous ajoute celui-ci également

 

 

Photo : Capture YouTube : Niska – Charlie Delta Charlie
@Mouv’

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